“Depois do silêncio” : les mots, la transe et les images pour raconter le Brésil
L’artiste brésilienne Christiane Jatahy revient à Paris pour présenter sa dernière création co-produite par le CENQUATRE-PARIS et l’Odéon, pour évoquer l’esclavage et l’exploitation de la terre au Brésil, mémoire matricielle d’un pays défiguré par les traumatismes. Plus que jamais, théâtre, cinéma, musique et chants sont convoqués sur le plateau d’un voyage géographique et historique traversé par des esprits de la transe chamanique.
Entre réalité et fiction
Sur scène, autour d’une table et devant un écran, sont assises deux comédiennes, Juliana França, qui fait partie d’un collectif théâtral activiste dans la banlieue de Rio de Janeiro, et Lian Gaia, descendante de la famille du leader paysan João Pedro Texeira, assassiné en 1962 en raison de ses positions en faveur d’une juste répartition des droits d’exploitation de la terre dans la région de Chapada Diamantina. Elles sont belles, vibrantes et d’une jeunesse enflammée, et elles incarnent deux soeurs, Bibiana et Belonísia, les deux héroïnes du roman d’Itamar Vieira Junior Torto Arado (La Charrue tordue), un best-seller paru en 2019 qui raconte aussi le meurtre de Seveso, un leader qui défendait les droits des paysans exploités dans cette même région. Sur le plateau sont présents aussi Gal Pereira, qui incarne l’esprit magique des des fantômes qui réapparaissent, et Aduni Guedes, musicien ogun spécialisé dans les fêtes religieuses afro-brésiliennes qui construit avec délicatesse un univers sonore envoûtant.
Cinéma
Au roman et au récit des deux protagonistes de l’histoire, s’ajoute une troisième source, le film documentaire Cabra Marcado para Morrer d’Edouardo Coutinho qui raconte l’assassinat de Texeira, dont les membres de la famille et proches du leader jouent leur propres rôles. Le tournage fut interrompu par la dictature militaire mais vingt ans après, le réalisateur est revenu vers les personnages pour les confronter à leur histoire. Christiane Jatahy, qui excelle dans la réalisation cinématographique, rajoute une couche supplémentaire en convoquant, dans cette même région de Chapada Diamantina, au coeur du Brésil, les personnages héritiers de cette même histoire. Les comédiens sur le plateau se retrouvent donc dans un nouveau film en couleur, avec d’autres habitants, et où la luxuriante nature de panoramas incroyables et de cascades, surnommée l’Ile verte, révèle la face cachée d’un rêve : exploitations et tragédies de vie de paysans privés de leurs terres et maltraités, qui chantent et dansent dans la terre boueuse pour faire revenir les morts et les fantômes errants.
Des récits qui s’imbriquent
Paroles, danses, musiques, images filmées et transe spirituelle se conjuguent donc comme pour faire appel, « Après le silence » à tous les moyens d’expression qui mêlent réel et fiction inspirée du réel. D’une conférence informative, qui nous rappelle que quatre millions d’Africains ont été déportés au Brésil durant plus de 400 ans, on passe au récit intime, personnel, de chacun des protagonistes, qui navigue entre le personnage du film, du roman, et le sien, pour exprimer sa rage, sa colère et son désir de raconter. Le spectateur est donc happé par ce maestro vertigineux, submergé par un flot d’informations qui disent et répètent cette histoire de domination. Techniquement assez virtuose, remarquablement porté par ce quatuor d’artistes sur scène, Depois do silêncio se présente avant tout comme une expérience émotionnelle forte dont la charge puissante ne peut nous laisser indemne.
Hélène Kuttner
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